PROLOGUE
Cinq mois plus tôt quelque part sur la terre…
Le moment qu’il redoutait allait arriver. Le vieil homme prit la main de la jeune fille alitée, dans la chambre d’hôpital aux murs blancs. Il sentait les battements de son cœur diminuer, jusqu’à bientôt se rendre insignifiants.
Il savait que l’heure était venue. Toute sa vie, il avait rêvé d’accomplir un tel geste, pour faire avancer ses recherches. Mais pas avec celle qui était la prunelle de ses yeux de père, comblé devant tant d’intelligence et d’empathie.
En commettant ce geste, il avait conscience que son quotidien allait changer du tout au tout. Plus rien ne serait désormais comme avant. Il serait contraint de fuir, et la personne qui l’attendait à la porte, le mènerait bientôt hors de toute vie sociale, dans un endroit tenu secret, où il allait pouvoir poursuivre ses travaux.
Au moment où la jeune malade allait rendre son dernier souffle, il posa le coffret à doucha sur le lit, caressa une dernière fois son visage, les yeux emplis de larmes.
— Tatiana ma chérie, c’est toi qui me l’a demandé malyshka *1. C’est plus fort que moi. Pardonne-moi. Le monde n’est pas prêt.
Se redressant en pleurant, et se tournant vers la jeune femme restée sur le pas de la porte, il lui demanda...
— Fais-le pour moi. Je m’en sens pas la force.
*1 Mon bébé d’amour
1.
Cinq mois plus tard – 18 Mai – Alpes Bavaroises – Allemagne
Sur les contreforts du massif du Zugspitze, sa petite boîte ronde et noire à la main, elle approchait du vide. Elle était en train d’en dévisser le couvercle, quand dans son dos, une voix d’homme l’interrompit dans son geste.
— Pas comme ça Mademoiselle. Avec le vent qu’il fait aujourd’hui, vous allez vous prendre toutes les cendres en pleine gueule.
— C’est vous qui avez raison, dit la jeune femme se ravisant de son geste. J’avais pas fait attention à ça.
— On peut se dire tu, c’est plus sympa. Moi c’est Tom, Tom Berthier. J’arrive de Nantes.
— Enchanté. Alice Weingantz. J’ai fait la promesse à maman, de relâcher ce qui resterait d’elle au-dessus de l’ Eibsee.
— C’est quoi L’Eibzée?
— Le lac que tu aperçois en bas. Elle aimait tellement s’y balader. Ça lui permettait d’oublier sa chimio si agressive.
— Tu vas pouvoir le faire maintenant, Alice. Le vent a tourné, dit Tom en pointant son index en l’air.
— Merci. Auf Wiedersehn Mutti. Gute Reisen ins Jenseits, murmura-t-elle, les yeux au bord des larmes.
Après l’avoir laissé seule en communication spirituelle avec sa mère, il lui glissa à l’oreille...
— Je comprends pas l’allemand.
— Je lui ai juste dit Au revoir Maman, et je lui ai souhaité un bon voyage dans l’au-delà.
— C’est plein de tendresse. Toi aussi tu crois à la survivance de l’âme ?
— Bien sûr. Même si ma voisine me prend pour une folle.
— Tu parles plutôt bien ma langue.
— Normal, je suis biculturelle. Mon père est français.
— Il est pas venu ?
— J’ai plus de nouvelles de lui, depuis qu’ils se sont séparés, juste après ma dernière année à la Kindergarten.
— La quoi ?
— La maternelle.
— Mais peut-être que je t’ennuie avec toutes mes questions.
— Pas du tout, ça me fait oublier un peu mon chagrin.
— Et si on poursuivait cette conversation ailleurs, tu es venue comment ?
— En car depuis Munich. Normalement, il n’y a pas d’arrêt prévu ici, mais quand j’ai expliqué au chauffeur ce que je venais y faire, il a accepté de faire une exception, et me déposer sur la route.
— Je vais te ramener. On va prendre mon Van. Il est garé un peu plus bas.
— T’es pressé Tom ? J’aimerais te demander de m’emmener là-haut.
— Où tu voudras. J’ai tout mon temps. Et si ça peut te rassurer, je vais même pas te faire le coup de la panne, car j’ai fait le plein il y a à peine une heure, lui confia-t-il en souriant.
— J’aimerais vraiment te faire découvrir le Eibseeseilbahn à Greinau.
— Une spécialité culinaire du coin ?
— Surprise. Prends la route qui descend vers le lac.
Il mit le moteur du Van en marche, puis se tournant vers le siège passager, lui dit…
— Il y a un truc que j’ai pas capté Alice, tu m’as bien parlé d’aller plus haut, alors pourquoi on fait tout le contraire ?
— Cherche pas. On arrive dans dix minutes.
2.
Moins d’un quart d’heure plus tard – Greinau – Eibsee
— Tourne à gauche. Arrête toi-là. On y est.
— C’est quoi ce truc de ouf ?
Tom venait de découvrir l’immense structure qui se tenait face à lui, et abritait l’ouvrage monumental, qui allait leur permettre de passer de neuf cent quatre-huit mètres d’altitude, à deux mille neuf cent quarante trois, en moins d’une dizaine de minutes. Le téléphérique hors norme du Zugspitze, baptisé ici l’Eibseeseilbahn.
— Tu as pas le vertige au moins ? Lui demanda Alice, en sortant du véhicule, garé sur le parking.
— Tu rigoles, j’aime trop avoir les fesses en l’air, lui répondit-il en grelottant des dents.
— Noté.
Ils approchèrent des caisses, y achetèrent leurs billets, et s’installèrent à l’intérieur de la cabine, qui prit rapidement de la hauteur. A voir son visage livide, Tom n’était pas rassuré.
— Tu le regretteras pas, le rassura-t-elle, quand tu vas voir la vue qu’on a au sommet.
— Je viens de voir passer un aigle. il y a un nid pas loin ?
— C’est possible. Ici on trouve toutes sortes d’oiseaux.
— Tu trouves pas qu’on grimpe un peu vite ?
— Tu disais quoi ? Lui demanda-t-elle, affairée à filmer avec son smartphone, le paysage beau à couper le souffle.
— J’ai l’impression qu’ils ont mis les gaz.
— C’est pas étonnant. On grimpe de dix mètres par seconde.
Voilà qui n’était pas pour tranquilliser le jeune trentenaire, impatient de redescendre de l’ouvrage, sans pour autant afficher son effroi en quatre par trois, aux yeux de la jeune femme.
Le sommet du glacier approchait. Tom mesurait le dénivelé parcouru.
— Tu te rends compte que la ligne du téleph n’est soutenue que par un seul pylône. Ils ont pas réussi à en trouver trois pour le prix de deux sur Wish, lui confia-t-il, avec un trait d’humour.
— Approche ! De l’autre côté ce que tu aperçois là, c’est l’Autriche.
— On distingue pas trop la maison natale de Mozart.
— C’est la faute de ton téléphone. Il agrandit pas suffisamment l’image, mais on peut pas te reprocher de manquer de culture. Toi au moins, tu as entendu parler de Wolfgang Amadeus.
— On m’a même dit que pendant ses temps libres, il construisait des tunnels, dit Tom.
— N’importe quoi. Il était musicien, grand Komponist.
— Tu peux pas comprendre, Alice. La vanne du tunnel, c’est un private joke. Si tu avais lu le bouquin que mon pote m’a prêté, tu aurais tout de suite capté.
— Il est de qui ?
— D’un obscur romancier français, dont j’ai même pas retenu le nom. C’est te dire si il est connu.
— Tu sais, moi à part avoir étudié du Victor Hugo au Jean Renoir Gymnasium, j’ ai pas lu beaucoup d’auteurs français.
— Depuis quand t’apprends Les Misérables dans les gymnases toi ? Entre deux enchaînements de sauts carpés, et roulés boulés sur tapis de sol bleu ?
— Tom, t’y es pas. Gymnasium chez nous, ça veut dire Lycée. Mais qu’est-ce que tu fous en Allemagne, si tu parles même pas notre langue ?
— Rien. Je bulle pendant un mois.
— Et entre deux bulôts ?
— Je fais de la musique. J’ai un studio d’enregistrement sur les quais de Nantes. J’y compose en M.A.O, et j’écris pour d’autres.
— Et tu en vis ?
— Moins bien que Jeff Bezos, et Jeff de Bruges.
— Je vois. Pas facile la vie d’artiste. Tu sais, avec Verena ma meilleure cops à Munich, on a pris un commerce…
— En otage ?
— Mais t’es pas bien, toi. On a ouvert une boutique de de coiffure pour minous.
— Original.
— Si tu passes en ville, je te montrerais.
— Je comptais bien y faire un tour demain.
— Ça tombe bien, j’ai libre. Tu sais ce qu’on va faire, on va se donner rendez-vous à l’Englischer Garten, dans la Schwabinger Bucht.
— Et en français dans le texte ?
— Au jardin anglais, dans la partie nord de la baie de Schwabing. A 9 heures ce sera parfait.
Elle sortit un stylo de son sac, et lui griffonna le nom du lieu sur une feuille de son carnet à spirales, qu’il rangea dans la poche arrière de son jean.
Au retour, ils échangèrent leurs numéros de portable. Lui son 06, et elle son 017. Il la déposa à l’entrée de la station Neuperlach Süd de l’U-Bahn, le métro munichois, avec changement à Odeonsplatz, pour regagner son appartement à quelques encablures du centre olympique, qui avait accueilli les Jeux Olympiques d’été de 1972.
NDLR *2
Bien entendu ces informations vous sont données à titre indicatif, car si vous tenez à vous déplacer jusqu’à Laimer Platz, la ligne est directe, et vous n’aurez pas besoin de changer à Odéon.
Tom dénicha un petit coin tranquille à l’extérieur de la métropole, où y parquer son combi, et passer la nuit sans risquer d’être délogé, par les nombreuses patrouilles nocturnes de la police allemande.
*2 Note de la rédaction. Depuis mon précédent roman, ce service a pris l’habitude de surveiller tout ce que j’écris, avec un excès de zèle qui frise bien trop souvent le ridicule, et sans besoin pour ça, de se faire un lissage brésilien.
3.
19 Mai – Englisher Garten – Munich – 9h15
En pénétrant dans la partie sud du jardin anglais, Tom comprit qu’il aurait encore du chemin à faire, pour atteindre le lieu de rendez-vous fixé par Alice.
Pourvu qu’elle m’ait attendu. Si elle croit que c’est facile de se retrouver là-dedans, c’est encore plus grand que Central Park. Moi qui m’attendais à un truc aux dimensions normales, cette chose godzilienne a plus de trois cent soixante-quinze hectares, comme c’est écrit sur le panneau devant moi.
Le jeune français accéléra le pas, sans avoir le temps de s’attarder sur la Maison Rumford, La Tour chinoise, le Monopteros et ses colonnes circulaires. Il traversa la pelouse à toutes enjambées.
Étonné de la voir étendue, intégralement dévêtue et couchée sur le ventre, au milieu de quelques gens dans le plus simple appareil, il ne pipa mot, et non pas pipa Middleton.
— Hallo Tom. Tu en a mis du temps.
— Si j’avais su que c’était pour un marathon de culs nus, je me serai entraîné avant. T’aurais pas un autre jardin à me proposer ? Tu vois, un truc à l’échelle humaine, version mini moi.
— Viens t’asseoir là, dit elle en se poussant légèrement, et lui proposant de partager sa serviette de bains.
— Mais c’est que t’es complètement à poil, en plus.
— J’avais juste oublié de te préciser, qu’ici c’était le coin naturiste. Il y en a d’autres répartis dans le parc. Mais si ça te gène, je peux passer un top. Tu veux bien fouiller mon sac de plage ?
— C’est bon, je crois que je vais finir par m’y faire.
— Alors qu’est-ce que t’attends pour te mettre à l’aise ?
— Tu trouves pas, qu’il fait encore un peu froid ce matin ?
— Vingt-sept degrés déjà, et ils annoncent des pointes à trente-deux, dans l’après-midi. Si tu préfères transpirer, comme un légionnaire dans le désert, à vingt kilomètres de l’oasis le plus proche, après dix-huit heures de marche ininterrompue, c’est ton droit. Si j’étais toi, je ferais sauter ça tout de suite, et hop !
— Ben justement, t’es pas moi.
— Tu vas voir, dans quelques minutes, la pelouse sera recouverte de gens nus comme des vers.
— Vers sur vers de Cuba Libre, comme le tube de Bandolero.
NDLR
Précisione. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec moderazion, concepzion, t’as pas besoin d’gueuler dans l’hygiaphone .
— A propos de tube, si tu me passais un peu d’huile solaire sur le dos. Tiens, attrape !
Elle lui envoya le flacon, avant même qu’il ait le temps de répondre. Habilement, celui-ci fit glisser le liquide tiède, dans la paume de sa main droite, et se mit à lui enduire le cou, et le haut des ses épaules, avant de s’attarder à sa colonne vertébrale, passer à ses cuisses et ses jambes, pour finir par ses pieds, sans oser lui tartiner les fesses.
— T’aurais pas zappé mon arch, Noé ?
— C’est que j’osais pas toucher.
— Tu sais, c’est pas une vache sacrée mon cul, tu peux envoyer la dose.
Il s’exécuta. Au même moment, d’autres habitués venaient de prendre place sur le vaste espace de verdure. Enfin seulement, il accepta d’enlever son t-shirt, et s’allonger à côté d’Alice.
Soudain, il sentit quelqu’un lui frapper doucement sur l’épaule. Il releva la tête, et se trouva nez à lèvres, avec le sexe d’une jeune femme, qui parlait allemand.
— Entchuldigung, du hast etwas verloren.
— Qu’est-ce qu’elle dit ? Demanda-t-il à sa voisine de serviette.
— Elle t’a dit, Excuse-moi, tu as perdu quelque chose. Si tu faisais l’effort de lever tes yeux un peu plus haut, au lieu de voler en rase-mottes, tu verrais ce qu’elle te tend.
La femme tenait dans sa main, le bouchon d’huile qu’il venait d’égarer. Il la remercia, en effectuant un geste vertical de la tête. Alice, lui tournant le dos, en profita pour aller piquer une tête dans le lac.
Quelques minutes plus tard, il consentit à quitter son pantalon, exhibant son superbe boxer aux couleurs de l’été indien.
— Tu vois que t’es déjà mieux comme ça, le complimenta Alice.
— Si tu le dis, c’est que ça doit être vrai, mais on va s’arrêter là.
— Tu dois pas le faire pour moi, mais pour toi.
— Parlons d’autre chose, de ton métier par exemple. Je savais pas que les chats avaient leurs propres salons de coiffure à Munich.
Elle émergea de l’eau, se tournant vers lui, et la surprise de Tom fut totale.
— D’accord. Je comprends mieux maintenant, le terme coiffeuse pour minous, lui balança-t-il, en constatant qu’elle avait les poils pubiens taillés en forme de papillon.
— Ça c’est tout le talent de Verena. Le papillon, je sais pas faire.
— Essaie le crawl, lui suggéra Tom, qui commençait à se décoincer un peu. Toutes les deux, comment vous est venue une idée aussi originale ?
— Pour lutter contre la concurrence.
— Ah parce que vous êtes pas les seules en Bavière à faire ça ?
— Si, répondit Alice.
— Alors je comprends pas trop, pourquoi tu me parles de concurrents sur le marché, si vous détenez la palme de la fourrure naturelle.
— C’était pour lutter contre la généralisation des boutiques d’encre.
— Explique-toi mieux.
— Toutes les meufs se faisaient raser intégralement, pour se faire tatouer leurs endroits les plus intimes, et pendant ce temps-là aux States, d’autres voulaient retrouver leurs poils d’origine, et leurs mecs trouvaient ça laid. Tu comprends mieux pourquoi Verena et moi, on a abandonné notre métier de coiffeuses, pour devenir des sculptrices du poil.
— Ça a pas du être facile au début.
— Comme dans tout commerce, il y a eu quelques ratés au départ, et puis ça a démarré. Un jour une influenceuse en a parlé sur tiktok, en montrant nos dessins, et depuis ça n’arrête plus.
— Ça mise en désemplit plus.
— Pas compris.
— Pas grave.
— Tom, jette un œil à gauche. Tu vois l’écureuil, qui passe à une dizaine de mètres de nous ?
— Merde, je viens de le rater.
— C’est parce que tu regardais dans les arbres, et pas au bon endroit. Bonjour Madame Mühlgraff, dit-elle en faisant signe à une femme d’une soixantaine d’années, qui marchait sur le chemin.
— Ah d’accord, l’écureuil c’était la mère Mühlgraff.
— Elle doit passer la semaine prochaine pour une teinture. Sa queue vire de nouveau au gris.
— Tu as l’œil, Alice.
— Et celle là c’est qui ? Lui demanda-t-il, en découvrant une autre femme passer au loin.
— Tom, on pointe pas comme ça son doigt, vers les chattes des tout nus. Ta maman te l’a jamais appris ?
— C’est que j’en ai pas vu beaucoup des comme ça. Mate un peu, comme elle est cheum.
— Madame Schlüssbach n’a pas le minou facile. Avec elle, j’en ai eu pour huit heures de travail sans compter la coloration.
— Et c’est censé représenter quoi son truc ?
— Son animal de compagnie, un loulou de Poméranie. Une variété de chien miniature, à cheval entre la Pologne et l’Allemagne.
— C’est qu’elle, elle a du faire le grand écart.
— Arrête, elle va t’entendre.
— Vu la tête qu’elle tire ta cliente, j’aurais plutôt choisi une chauve-souris.
Alice enfouit sa tête dans la serviette, mais les contorsions de son corps trahissaient, sans qu’il y ait besoin d’en déchiffrer le langage, le fait qu’elle venait d’être prise d’un fou-rire incontrôlé.
— Tu as la fesse rieuse, ajouta Tom, avec un sourire grand comme ça.
— L’autre risque bien d’être jalouse.
— Excuse, je voulais pas la vexer.
— Au lieu de raconter des conneries, tu accepterais toi, d’être mon premier modèle masculin ?
— Euh… quand les huîtres auront des poils.
— Vous êtes bien tous pareils, les mecs. En plus c’est sans douleur, et avec ce que tu me caches encore, et qui se met à prendre du volume, je pourrais te faire un superbe castor.
—Tu fais bien l’article, mais je préfère réfléchir. Laisse-moi au moins, un délai de rétractation d’un mois.
— C’est bon j’insiste pas. Viens te baigner.
Quelques instants plus tard, tous deux se retrouvaient en train de nager dans la baie de Schwabing. Alice plongea sous ses jambes, et en profita pour récupérer le boxer de Tom, qu’elle exhiba comme un trophée, en le faisant tourner autour de son poignet.
— Oh non Alice ! Pas cool ça.
— Il y a que le premier pas qui coûte, lui dit-elle. Tu vas voir comme tu vas te sentir mieux comme ça. Et surtout, tu vas faire au honneur au FKK.
— Le Fcaca ?
— En allemand, les initiales de FreiKörperKultur, la culture du corps libre.
— Libéré Dépoilé.
— Pas dépoilé, sinon je perds mon job, lui dit-elle.
— Et comment je vais faire, pour sortir de l’eau maintenant ? Les autres vont tous me mater.
— Ça c’est dans ta tête. Ils te verront même pas. Tu es comme eux maintenant. Tout disparaît ici. Il n’y a plus de rang social. Tu te sens en harmonie totale, avec la nature qui t’entoure.
— C’est ça, et tu vas me dire que je vais me mettre à entendre des flûtes de pan, et de la zic de relaxation, comme dans un ashram ?
— Tout dépend de ton niveau d’abandon.
— Mon calbute, c’est déjà fait.
— Le reste va venir.
— Parce que tu comptes aussi me dépecer, avec un couteau suisse ?
— Pas encore. J’ai besoin de toi.
— Toi, je vois que tu as une idée derrière la tête. Ton papillon fait déjà la grimace.
— Je t’expliquerai tout ça, quand nous serons secs.
4.
19 Mai – Prison de l’Île de Bastøy – Norvège – 14h20
Ce printemps-là, le centre de sécurité minimal hébergeait tout au plus, une centaine de détenus. L’île de Bastøy, qui était devenue la première prison écologique au monde, après avoir fait office de centre pour jeunes délinquants jusqu’à la fin des années soixante, se voulait à dimension plus humaine.
Située dans un fjord, à une vingtaine de kilomètres des côtes norvégiennes, cette île atypique comporte des fermes écolo, et de petites maisonnettes aménagées, où travaillent, et vivent le temps de leur rédemption, les prisonniers. Ici, pourtant ni grilles, ni tours de surveillance.
Certains de ces hommes, sont des condamnés en fin de peine, prêts à être réinsérés dans la société. D’autres, qui n’ont pas commis les mêmes délits, vont y séjourner tout au plus un mois, histoire d’apprendre à se responsabiliser.
Peter, vingt-sept ans, faisait partie de cette deuxième catégorie d’individus, depuis qu’il avait amerri ici, suite à un excès de vitesse, sur l’autoroute d’Oslo. Vingt-six kilomètres heure de dépassement, qui lui avaient valu ce court séjour dont il se serait bien passé, car on ne plaisante pas avec la vitesse, en Norvège. Ce dix-neuf mai, alors qu’il achevait son avant dernier jour de détention, il était en train de préparer sa valise, quand l’un des surveillants fit irruption dans sa chambre.
— Alors Peter, content de réintégrer le monde libre ?
— Heureux surtout de pouvoir revoir ma petite sœur, Olaf. Elle m’a tant manqué.
— Allons, ta détention n’a pas été trop rude. Tu sais l’importance qu’on attache à ça, sur l’île.
— Le confort de la chambre était quand même un peu spartiate, à côté de la prison ultra moderne de Halden, dont m’a parlé Markus, qui achève sa lourde peine ici. Je savais pas que là-bas, les prisonniers disposaient d’autant de services.
— C’est vrai que le gouvernement a fait fort, Peter. Dans chaque cellule, le condamné bénéficie d’un écran plat, un réfrigérateur, et une salle de bains privée.
— Vous oubliez le gymnase, les coachs sportifs la bibliothèque, et le studio d’enregistrement. Un véritable traitement de luxe.
— Peut-être bien, mais le taux de récidive ici, n’est que de vingt pour cent à la sortie. Si on compare à ce qui se passe aux États-Unis, c’est trois fois moins de rechute. N’oublie pas que notre pays n’est pas là pour sanctionner, mais pour travailler à la réhabilitation de l’individu, et permettre sa réinsertion dans les conditions optimales. Dis-moi Peter, tu n’as pas été maltraité chez nous ?
— Non, mais ça veut pas dire pour autant, que je compte y revenir.
— C’est bien. Tu es l’exemple parfait de notre méthode. Tu sais maintenant, que tu dois adapter ton comportement à la société, et pas le contraire. En sortant demain matin, assure-toi de n’avoir rien oublié. Le bateau navette t’attendra à 8h, au débarcadère.
Peter fit un dernier tour de l’île, qui ne faisait que deux kilomètres carré. Demain, il savourerait le parfum de la liberté.
*
Nuit du 19 au 20 mai – Île de Bastøy – Maisonnette de Peter
La porte de la chambre venait de s’ouvrir, alors qu’il était encore assoupi.
— Toi, tu viens avec nous dit, une voix. Enfile ces sapes, tout de suite.
— Markus, tu es fou ? Pourquoi tu me réveilles à 6 heures du mat ? Tu sais bien qu’on me libère aujourd’hui.
— M’oblige pas à cogner, Peter. Tu nous suis et sans crier, où on risque de repêcher ton corps au large des rochers.
— C’est qui le gars, qui se cache derrière toi ?
— Sors de là, il t’a vu ! Dit Markus à son complice.
— Tobias, s’écria Peter qui venait de le reconnaître, qu’est-ce que tu prépares avec Markus ?
— Une évasion, répondit celui-ci. Moi, j’ai encore deux ans à tirer ici, et Markus onze. Ce plan, c’est moi qui l’ai fait. J’ai réussi à me faire passer pour le directeur, en imitant sa voix, plutôt medium-grave. Le capitaine de la navette n’y a vu que du feu. Attention, il accostera plutôt que prévu, pendant que tout le monde dormira encore. Après, j’en fais mon affaire.
— On a dit pas de violence, Tobias, sinon je laisse tomber, dit Markus.
— Et c’est lui qui dit ça ? Dit Peter à Tobias. Ce taré voulait quand même m’envoyer nourrir les poissons, il y a pas deux minutes. Comment tu peux lui faire confiance ?
— En attendant on se casse. le bateau se pointe au loin…
*
Un jour plus tôt – Baie de Schwabing – Munich
Une fois sortie de l’eau, Alice avait avait accepté, de rendre son caleçon à Tom. Elle savait qu’elle avait à lui réclamer un service, et il était préférable, qu’il soit bien concentré sur ses mots.
— Tom, est-ce que tu accepterais de m’aider ?
— Ça dépend du niveau de difficulté, exigé par la mission. Si c’est pour me faire faire le tour à poil du jardin anglais, compte pas trop dessus.
— C’est bien d’un tour dont il est question, mais en Norvège.
— Chez les vikings, mais pourquoi ?
— Faut que je retrouve mon frère. Ça fait un mois qu’il est parti, et il rentre demain.
— Et il a pas d’auto, lui aussi ?
— On lui a confisquée. Excès de vitesse.
— Pas bien ça. Et ça lui arrive souvent ?
— C’est la première fois.
— Je dis ça, parce que s’il faut le récupérer à Ushuaïa la prochaine fois, ça va être chaud.
— Si tu es d’accord, tu peux coucher au quartier olympique cette nuit. Le lit est pas très large, mais je prends pas beaucoup de place.
— Elles m’étonneront toujours ces allemandes. Une conception particulière, du bed, fuck and breakfast.
— T’en connais d’autres que moi, Tom ?
— T’es la première à te lâcher, comme ça. En fait, j’ai pas vraiment le choix. Si j’ai bien compris, je vais devoir nourrir le papillon.
— Et tu imagines pas comme c’est vorace un lépidoptère.
— T’es pas contre un petit hors d’œuvre, avant d’attaquer le menu best touffe ?
Et sans lui laisser le temps de répondre, il colla sa bouche sur ses lèvres qui n’attendaient que ça.
5.
20 Mai – Fjord de l’Île de Bastøy – Norvège – 6h27
Tout s’était passé, comme les fuyards l’avaient imaginé. Le capitaine du bateau n’avait rien vu venir, et s’était laissé prendre au piège, que ceux-ci lui avaient tendu. Le temps que se réveillent les gardes de Bastøy, ils auraient tout le loisir de regagner le continent.
— Qu’est-ce qu’on fait du capitaine ? Demanda Markus à Tobias.
— Il nous sert plus à rien. Faut le liquider.
— Pas d’accord. On le renvoie vers l’île, proposa Peter.
Après rapide concertation, il fut accepté, qu’aucun mal ne serait fait au vieux loup de fjord. De quoi passablement alléger le casier judiciaire du jeune homme, en cas de ré-arrestation. Le frère d’Alice obtint gain de cause, avec toutefois un léger aménagement à la parole donnée, que Markus lui cacha jusqu’à la dernière minute, le temps pour Tobias d’aller enchaîner le brave homme à son gouvernail, pour plus de sûreté.
— Et maintenant, on fait quoi ? Demanda Peter.
— Toi l’informaticien, tu nous trouves un moyen pour nous tirer de là ,au plus vite, lui ordonna Tobias.
*
20 Mai – Pont de l’Øresund – Malmö – Suède – 8h34
Les deux tourtereaux avaient roulé toute la nuit, depuis Munich. Le smartphone d’Alice, venait d’émettre un message. Verena lui demandait pourquoi, elle n’était pas présente à l’ouverture de la boutique, ce matin. Elle crut plus judicieux de l’appeler, sachant que Tom ne comprendrait rien, à ce qu’elle allait confier à sa meilleure copine en allemand.
— Hallo Verena, tu m’excuses, mais j’avais oublié de te dire, que Peter serait libéré aujourd’hui. On a roulé toute la nuit pour être à l’heure à Horten, au point de rendez-vous.
— Tu as dit On. T’es partie en stop ? L’interrogea celle-ci.
— C’est qui ? Demanda Tom au volant.
— C’est Verena. Roule ! On a des trucs à se dire entre girls.
— Il est comment ? Demanda Verena à Alice.
— Tu vois l’acteur qui a joué Jock, dans le spin-off de Der nackte Mann *3, C’est tout lui.
— Alors ton mec, doit être une vraie bête de sexe au lit.
En entendant un mot, qu’il n’avait aucun mal à reconnaître dans la langue de Goethe, que pourtant il ne maîtrisait pas, Tom se tourna vers sa passagère, et lui dit...
— Vous parlez de moi, les filles ?
— Non. D’un acteur d’une série que tu connais pas en France. T’occupe, et accélère ! On va être en retard.
— Je peux mettre la sono, au moins ?
— Pas trop fort, sinon j’entends plus Verena.
Une radio locale suédoise diffusait Ohne dich, un titre marquant des années 80, interprété par le groupe Münchener Freiheit, un des dignes représentants de la Neue Deustche Welle, la nouvelle vague allemande, qui avait vu l’éclosion d’artistes comme Nena, Major Tom, Falco, et autres idoles adulées de toute une génération, qui dépoussiérait la musique de leurs parents, plus habitués à la Schlager Musik.
— Petite cochonne, t’as pas du t’ennuyer avec lui, dit Verena.
— On pas eu beaucoup de temps pour approfondir le sujet, car on devait tailler la route ce matin, alors on est passé direct live au plat principal, sans commander l’entrée. T’aurais vu, comme il m’a fait crier comme une bête. Et encore, on en qu’au préquel.*4
— Comme je te connais, tu comptes pas en rester là.
— Je vais quand même pas zapper, si la série me plaît.
— Tu lui as dit de faire gaffe aux antennes, j’espère. Tu sais que j’ai passé du temps dessus.
— Trop tard. Je crois que tu vas devoir me refaire mon brushing. Même ma culotte n’arrive plus à les retenir en l’air
— Tu peux la balancer. Elle sert plus à rien, maintenant. Tu fais chier Alice, qui c’est qui va se retaper tout le taf, comme dab ? C’est encore cette bonne poire de Verena.
— C’est pas tous les jours, qu’on rencontre un coup pareil. Je te souhaite d’en trouver un comme ça.
— Pour le moment, c’est pas d’actu. J’ai mon Sanjay sous la couette, et j’ai pas envie d’en changer.
— Avoue que tu le kiffes surtout, pour ses petits plats indiens.
— Ouais, mais pas que. Il est tendre avec moi, et il dit oui à tout.
— La laisse autour de son cou, c’est pas obligé, dit Alice qui la taquinait.
— Faut que je te laisse maintenant, il y a la Wertenschlager qui vient d’arriver, pour que je lui retaille son panda. Bougez pas Irma, je suis à vous dans deux minutes. Bye bye Liebling.
Se tournant vers le conducteur, Alice lui demanda, à la manière d’une enfant agitée qui part en vacances, pour un long trajet avec ses parents…
— On arrive quand, Tommy ? C’est long. Je m’ennuie.
— Profite du pont. Tu te rends compte qu’on vient de voyager sous l’eau, depuis la sortie de Copenhague, en empruntant le tunnel Drogden, jusqu’à l’île artificielle de Peberholm, une île qui a été construite dans le détroit de l’Øresund. Pendant que vous discutiez ensemble, j’ai fait mes recherches.
— Je m’en tape, c’est trop long. Je veux voir mon frère. Et d’abord, tu devrais pas faire ça en conduisant, c’est dangereux. Donne-moi ton smartphone. Hop Confisqué !
— T’en as vu beaucoup des ouvrages comme ça, où on passe à la fois sous terre, et sur la mer ? Regarde cette vue incroyable, qu’on a de là-haut.
— Le péage était pas mal non plus, soixante euros ça fait un peu cher le manège. Même à soixante mètres au dessus de la mer.
— Tu veux qu’on partage ?
— Laisse tomber. Tout ça c’est à cause de moi, dit Alice en s’excusant de sa nervosité, ça fait un mois que j’ai pas vu Peter.
— On sera à Horten dans quelques heures. La Norvège n’est plus très loin. Même si on est en retard, il attendra un peu. Après trente jours de détention, c’est pas ça qui va le décourager.
— T’as raison Tommy, approuva-t-elle, en lui embrassant la joue côté passager.
Il est vrai qu’à moins d’être une contorsionniste avertie, la manœuvre pour atteindre sa joue gauche, aurait relevé de l’exploit. Soudain, elle ouvrit la vitre côté passager.
— Qu’est-ce que tu fais encore ?
— Je balance ma culotte.
— Tu te crois où, à Schwabing ? Arrête ça tout de suite, Alice.
— Trop tard. T’avais qu’à faire gaffe à mes antennes, au lieu d’en faire des tresses, avec tes gros doigts.
— Je comprends rien.
— Moi si.
— Bravo pour la pollution sur les plages suédoises, Mademoiselle from München. Tu mérites même pas le pavillon bleu.
— T’inquiète, un bateau le ramassera, et en fera son pavillon.
— Son pavillon peut-être, mais sa résidence secondaire j’espère pas.
*3 L’homme nu
*4 Épisode d’une série dont l’action se situe avant ceux déjà diffusés
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© Thierry Brenner 2022
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ISBN : 9798849296593